Diekirch ne fermera finalement pas, du moins pas tout de suite

10 07 2010

Je ne vous ai pas raconté les rebondissements dans l’affaire Diekirch. Cette brasserie du nord du Grand-Duché dont la fermeture avait été annoncée en janvier par le géant de la bière AB Inbev à qui elle appartient. Et bien, elle ne ferme plus. On a trouvé une solution à la luxembourgeoise. Le site est racheté par des investisseurs du pays et 80% des emplois sont maintenus. Tout est bien qui finit bien. Sauf qu’il a toujours des mauvaises langues pour dire que tout cela n’est qu’une vulgaire opération immobilière dont la brasserie risque de faire les frais à la fin.

Depuis ce fameux 17 janvier, on a connu pas mal de rebondissements. Cette fermeture s’est transformée en affaire d’Etat. Et pour cause: la bière la plus bue par les Luxembourgeois brassée en Belgique, c’était juste impensable. Groupe sur Facebook manifestation à Diekirch (la ville fête ses 750 ans cette année, l’annonce a fait vraiment mauvais genre), débat en commission parlementaire.

Dans un premier temps, AB Inbev a campé sur sa décision: rapatrier la production des bières Diekirch et Mousel sur ses sites belges, c’était une bonne rationalisation vu de Bruxelles (ou de Rio de Janeiro). Mais le gouvernement luxembourgeois s’en est mêlé, des rencontres ont eu lieu avec la direction du brasseur belgo-brésilien. Et surtout, les ventes de Diekirch ont chuté après la nouvelle. De quoi faire réfléchir AB Inbev sur la fermeture.

En février, premières rumeurs sur le maintient du site. Les syndicats d’abord, puis le gouvernement indique que des négociations sont en cours. En mars, c’est officiel, la brasserie ne fermera pas. Un accord a été trouvé avec des investisseurs. Quel accord? On ne sait pas. Quels investisseurs? Mystère, on nous assure juste qu’ils sont luxembourgeois. Pour en savoir plus, il faut attendre que l’accord soit finalisé, nous dit-on.

Assez rapidement, le principe de base de l’accord se sait: les investisseurs rachètent les murs et les loue à la Brasserie de Luxembourg (la filiale luxembourgeoise d’AB Inbev) qui continue de bosser comme avant. Enfin presque, une restructuration est tout de même prévu avec 30 des 95 emplois qui disparaissent. Mais qui sont ces fameux investisseurs? Une chose est sûre, ce n’est pas Munhowen qui fait plutôt figure de dindon de l’histoire.

Munhowen, c’est Le concurrent d’AB Inbev au Luxemboug (ça en jette dit comme ça). En gros, le pays compte deux grandes brasseries: la Brasserie de Luxembourg d’AB Inbev et la Brasserie Nationale de Munhowen. Ce dernier lorgne depuis longtemps sur les bières Diekirch et Mousel. L’ambition de son grand patron, c’est de regrouper toutes les grandes bières du pays dans son groupe. Il a discuté des années avec InBev mais n’était plus en discussion depuis six mois au moment de l’annonce de la fermeture. Et bien entendu, Munhowen a contacté AB Inbev en janvier pour proposer de nouveau de racheter Diekirch. En mars, son grand patron est tombé des nues à l’annonce du sauvetage de la brasserie. Et pour cause: il avait rendez-vous avec des dirigeants d’Inbev quelques jours plus tard.

Depuis, Munhowen (et d’autres) ne cesse de mettre en doute ce sauvetage de Diekirch. Tout ça ne serait qu’une simple opération immobilière. Le soit-disant groupe d’investisseurs ne s’intéresserait qu’aux 2,5 hectares de la brasserie situés au coeur de Diekirch et la brasserie fermerait d’ici quelques années.

Alors, ces investisseurs, qui sont-ils? Je crois que c’est chez Munhowen que j’ai entendu la première fois le nom de Saphir Capital. Quelques jours après, j’ai rencontré l’administrateur de cette société, John Penning, dans un tout autre cadre: avec d’autres investisseurs du Grand-Duché, il lançait Sting, une structure d’investissement de moyenne taille (moins d’un million d’euros) pour les PME. En mai, communiqué officiel de Saphir Capital Partners qui confirme les termes de l’accord qui étaient déjà plus au moins connu.

Cette société est toute jeune, elle est née en janvier. Le mois de l’annonce de la fermeture de la brasserie de Diekirch. Pour être plus précise, sa création a été publiée au Mémorial (équivalent du Journal officiel) le 23 janvier, donc après l’annonce de la fermeture de Diekirch. Mais la création officielle indiquée au Mémorial, c’est le 15 décembre 2009. Saphir Capital Partners est une société de conseil et d’investissement. Son administrateur est un Luxembourgeois, ancien de Deloitte.

Toujours pas plus de précisions sur les personnes qui investissent via cette structure. Et les rumeurs sur côté éphémère de cet engagement vont bon train. Une société telle que celle-là retire ses billes à moyen terme. La concurrence continue de parler d’un projet immobilier où la brasserie n’est qu’accessoire.

Le premier juillet, invitation pour une conférence de presse deux heures plus tard dans les locaux de la brasserie, à Diekirch (Le Luxembourg n’est pas très grand mais quand même…). Ca y est, on en sait un peu plus sur le projet, les investisseurs! Et il y a bien une opération immobilière dans tout ça. Deux des investisseurs sont présents à la conférence de presse, dont John Penning.

En dehors de Saphir Capital, il y a Edison Capital Partners, un genre de Saphir Capital bis. D’ailleurs, Edison est aussi au capital de Saphir. Autre nom cité, la famille Schneider. Un nom plutôt courant, je ne sais pas à qui le relier, je ne suis pas au Luxembourg pour connaître les personnes influentes mais discrètes. J’ai juste une fois croisé un Schneider, Dan Schneider fondateur de Tenzing Partners. Il fait parti des initiateurs de Sting, comme John Penning.

C’est côté projet qu’il y a vraiment du nouveau. Saphir Capital annonce la création d’une nouvelle brasserie, « plus adaptée aux besoins de production ». Comprendre: plus petite. Celle-ci sera construite sur la commune de Diekirch mais ailleurs, d’ici 3 à 7 ans. Cette nouvelle installation plus moderne doit pérenniser la production de bière dans la ville pour « 100 ans », assure Jacques Dahm le bourgmestre. Le plan de maintient de l’emploi est ramené de 30 à 20 postes. Et le site actuel? Il servira à des projets immobiliers. Nous y revoila. Les projets sont vastes et encore vagues. Il n’y a pas de plans encore précis assure Saphir Capital.

Logements, bureaux, commerces, bâtiments publics… Il y a de quoi faire. Un lycée jouxte la brasserie. Quand je demande au bourgmestre s’il y a des opportunités de se côté là, son visage s’illumine même s’il ne veut pas répondre. Il insiste tout de même sur un point, il faut aussi un engagement de l’Etat pour des projets qui concerneraient des bâtiments publics.

Quelques jours après cette conférence de presse, un journaliste du Tageblatt, qui n’était pas à la conférence, indique avoir un document résumant les termes de l’accord. Il assure que le projet de nouvelle brasserie n’est pas assuré. Et qu’il n’est de toute façon pas l’objectif principal de l’accord. Les investisseurs s’intéressent surtout aux 2,5 hectares de terrains. Un site qu’ils auraient payé un peu plus de 14 millions d’euros. Tant que le terrain est utilisé par la Brasserie de Luxembourg, celle-ci reverse un loyer d’environ 500 000 euros par an.

Le document préciserait que le projet de nouvelle brasserie sert à faciliter les demandes de reclassement des terrains par la ville: ce sont pour l’instant des sites industriels qui doivent devenir des terrains à bâtir. Autre intérêt de la pérennisation de la brasserie, obtenir plus facilement le soutien financier de la SNCI, le bras financier de l’Etat. Cette nouvelle installation coûterait environ 5 millions d’euros et serait beaucoup plus petite que la brasserie actuelle: 120 000 hectolitres par an alors que le Brasserie de Luxembourg a produit 147 000 hectolitre de bière en 2009.

J’ai rappelé John Penning après la lecture de l’article. Il a simplement indiqué que le document auquel le Tageblatt faisait référence n’était pas forcément le définitif et a botté en touche concernant les chiffres des transactions. Pour info, le chiffres de 60 millions d’euros avait circulé concernant le montant total du deal.

Pour la construction d’une nouvelle brasserie, il a confirmé qu’elle se ferait dans trois ans si la production de bière était rentable tout en assurant que les termes de l’accord sont fait pour que la production soit encore rentable. Et sur la petite taille de l’installation, l’homme précise simplement qu’elle correspondra aux besoins de production: si ceux-ci diminuent, la brasserie sera plus petite, s’ils augmentent, elle grossira.

Bref, on verra dans trois ans. Si le projet de brasserie ne se fait finalement pas, Munhowen pourra dire qu’il le savait dès le départ.


Actions

Information

Laisser un commentaire